Malte Martin est graphiste et plasticien ; Guillaume Leturgez est professeur des écoles à Marcel Cachin. Tous deux se sont croisés dans le cadre du programme de résidences d’artistes mené par la Ville. Entretiens et récit d'une expérience artistique unique... et lumineux !
Malte Martin
Quel est l’objet du travail mené en résidence à Marcel Cachin ?
Tout mon désir est d’amener les élèves dans un voyage qui ne soit pas scolaire ; sortir du cadre institutionnel et leur faire découvrir quelque chose qui déploie leur imaginaire. L’idée a été de travailler la scénographie, de mettre en scène l’espace en le transformant. Pour cela j’avais demandé à disposer d’une classe dédiée, dans laquelle les élèves travailleraient comme dans un atelier, et transformer ensuite ce lieu.
Comment s’est mis en place ce projet ?
La rencontre avec les enseignants, Nacera Azouz-Benosa et Guillaume Leturgez, a rapidement activé un champ de travail en commun : ils m’ont raconté la danse pour Nacera, le théâtre pour Guillaume, l’éloquence pour le troisième enseignant. J’ai très vite proposé un dénominateur commun : le corps dans l’espace scénique.
Vous avez mené une première transformation, quelle est-elle ?
Plonger dans un monde noir et blanc, très expressif, fort en contraste. Chaque élève a choisi un mot qu’il a écrit sur une feuille A4 au feutre noir fort ou au scotch. J’ai ensuite agrandi leur dessin, qu’ils ont redécouvert à une nouvelle échelle. Ensemble nous avons suspendu ces grands formats dans la salle pour former un parcours, un labyrinthe de mots, qui ressemblait à un escape game.
Comment les élèves se sont-ils appropriés le nouvel espace ?
Plusieurs exercices ou jeux du corps dans l’espace ont été menés : déambuler dans l’escape game, choisir trois mots et inventer un récit, choisir un graphisme attirant et nous amener vers cette expression qui a parlé… Tout cela par groupe avec les corps, le sien et ceux des autres, qui évoluent de mot en mot. Au niveau de l’école, des ambassadeurs sont venus des autres classes pour découvrir aussi cet espace et rapporter leur expérience.
Que vous inspire cette résidence ?
Dans certaines résidences, on vient 2 ou 3 fois, l’échange est limité. Ici, je suis présent tous les jeudis matin. Les profs sont partants, les relais institutionnels en soutien… L’alchimie fonctionne. Guillaume a cette culture de l’artistique, le dialogue est fluide. J’ai prévu de mener 5 transformations avec sa classe. Lui m’a présenté certaines idées, je fais des propositions, et on avance… J’aime quand je peux emmener les élèves en dehors de l’apprentissage scolaire. Je garde en tête cette question qui m’a été posée par une élève dans les couloirs de l’école : « votre métier s’apprend-il quelque part ? » Quel beau questionnement à 10 ans…
Guillaume Leturgez
Comment s’est mise en place la résidence avec Malte Martin ?
Lorsque j’ai été pressenti comme enseignant pour travailler avec un artiste, j’ai dit trois fois oui ! A la première réunion, tout a été clair, efficace. Je suis impliqué dans le théâtre et la danse, la proposition de Malte a immédiatement été un révélateur.
Qu’entendez-vous par là ?
J’appréhende le théâtre par le corps. C’est ce que le spectateur voit ! les exercices que nous avons menés avec Malte, par exemple, autour de la jungle des mots s’est inspiré du corps. Dans les jeux d’improvisation, les élèves devaient se questionner sur ce qu’ils voyaient, sur ce qui passait entre le graphisme et eux pour trouver cette nourriture du récit à exprimer avec le corps. Ils ont également travaillé la voix, parce qu’elle est souvent tellement pudique. Voilà comment nos deux univers se sont croisés pour amener les élèves ailleurs.
En quoi ce travail avec un artiste est-il enrichissant ?
D’abord, je souligne que nous sommes dans le programme. Ensuite, un des objectifs de l’école est de transformer les choses. Artistiquement, ça n’est pas que d’investir la technique graphique. Avec Malte, on fait appel à la sensibilité des élèves, on élargit leur imaginaire. Et on les aide à oser ! Ils se montrent dans leur intégralité, pluriels dans leur sensibilité. C’est cette rencontre qui permet ces situations d’apprentissage du collectif, de la troupe, de l’entraide entre eux…
Malte travaille en noir et blanc et sur le graphisme, cela a-t-il élargit votre approche ?
Malte nous a fait partir de consignes très fermées pour nous amener vers une exploration. Aujourd’hui, on s’aperçoit que le graphisme est partout autour de nous. Même les panneaux routiers ne sont rien d’autre que du graphisme. Quant au noir et blanc, j’étais sceptique au début. Malte est venu me déranger, me bousculer, et me prouver le contraire. Les idées qu’il a apportées, je ne les aurais pas eues. Finalement, la couleur, on l’a trouvé ailleurs, dans le travail sur la voix et le corps.
Qu’en retiennent les élèves ?
Nous tenons un journal artistique. Ce n’est pas une production écrite, mais une consignation des mots clés pour chaque séance réalisée avec Malte. Et là, je me suis aperçu que le travail qu’ils réalisaient n’était pas du tout obscur ; ils savent ce qu’ils font…
Propos recuellis par Virginie Morin
Photos : Xavier Cambervel
Lire article p.34 "Scéno-graphie à l'école " du magazine "Champigny notre ville" de janvier 2021