« Connais-toi toi-même »
Soumis par Sophie Durat le lun, 06/05/2019 - 18:37Gilbert Larose est Antillais et fondateur d’un parc « La Savane des esclaves » en Martinique qui retrace l’histoire méconnue de son île et œuvre pour le devoir de mémoire. Elle reconstitue les modes de vie des Amérindiens jusqu’à l’après-guerre en passant par la vie des esclaves. Cette reconstitution grandeur nature de l’histoire éclaire sur une période oubliée, écartée des livrets scolaires, comme si elle n’avait jamais existé. Le devoir de mémoire : c’est cette question dont s’est emparé Gilbert Larose. Témoignage.
Pourquoi vous intéresser à l’esclavage ?
Au départ, lorsque l’idée de construire un parc s’est présentée à moi, je voulais montrer l’intelligence des anciens : en quoi leurs modes de vie étaient proches et respectueux de la nature, de leur environnement. Et puis, je me suis dit que cette histoire démarrait trop tard ou trop loin puisqu’elle se situait après l’abolition de l’esclavage. Finalement, je reproduisais un schéma, celui appris à l’école, qui revenait à passer sous silence ce pan de notre histoire. Je me suis alors intéressé à cette période en menant des recherches pour reconstruire la vie des esclaves, faire émerger son vif, qui touche chaque Antillais, mais aussi les métropolitains et touristes étrangers qui viennent visiter le parc.
En quoi est-ce important de faire connaître cette histoire ?
A l’école, on nous apprend « nos ancêtres les Gaulois », Louis XIV, Richelieu… Rien sur notre histoire, celle des colonies, et de tout ce qui s’y était joué. En me replongeant dans cette période, ça m’a ouvert les yeux car, finalement, sur l’île, on est tous dedans : Antillais ou métropolitains, victimes de l’esclavage ou auteurs/acteurs de ces faits. Cette perspective de raconter, de montrer, d’expliquer ce qui s’est passé revient à faire connaître et reconnaître cette période. Pour nous Antillais, cela permet de prendre conscience de notre histoire, que nous sommes également issus d’un métissage.
S’agit-il d’un devoir de mémoire ?
« Connais-toi toi-même »… N’est-ce pas avec ce savoir que l’on peut avancer. Oui, il est question de devoir de mémoire, de montrer la vie des esclaves dans les plantations, la réduction de femmes et d’hommes à une condition qui n’était pas humaine. Il était temps qu’un lieu montre tout cela ! En 20 ans, ce travail a porté ses fruits puisque les écoles sont nombreuses à venir ; en saison, je suis obligé de refuser du monde. J’ajouterais que « La Savane des esclaves » aborde aussi l’arrivée des colons sur l’île et l’extermination des Amérindiens qui s’y est déroulée… Tout cela, qui se souvient ? Qui en parle ?
Vous êtes invité par la Ville à participer à la journée commémorative de l’abolition de l’esclavage, le 10 mai…
Une journée consacrée à la question, c’est trop peu, parce que les gens oublient. Mais, elle a tout de même le mérite d’exister. Commémorer, c’est faire connaître, préserver un savoir, rappeler que cela a existé, et je reste persuadé que c’est par cette connaissance que l’on agit sur les peurs et que l’on lutte contre le racisme. L’esclavage a laissé beaucoup de séquelles, de traumatismes, de honte. Je suis un descendant d’esclave, mes ancêtres ont été réduits à l’esclavage, et je suis heureux de participer à ce discours qui permet de faire savoir. Même si l’esclavage dans les îles est révolu, il n’a pas disparu de la planète, malheureusement. C’est aussi en prenant soin du souvenir que l’on peut entendre le chemin qu’il reste à parcourir…
Par Virginie Morin
Crédit photo : Autrevue
« L’Histoire de la Martinique » en bande dessinée est retracée par « Ti Gilbé » (alias Gilbert Larose) en collaboration avec l’illustrateur Jojo Kourtex. Elle présente un récit en 36 pages et 12 planches annexes sur la Martinique, avant, pendant et après l’esclavage, des Arawaks aux Africains, sans oublier les colons français, les engagés bretons, les Indiens… Autant de peuples qui sont venus vivre en Martinique volontairement ou forcés. Gilbert Larose explique : « Du fait de la colonisation, je suis d’origine togolaise, congolaise, d’Afrique du Sud, irlandaise, normande… Les Antilles sont un mélange de cultures, nous sommes descendants de ces métissages. C’est en connaissant ce puzzle que nous sommes que nous comprendrons qu’aucun racisme n’est possible ! »